La modernité de l'oeuvre et la continuité de la recherche du peintre.

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Accueil / Artistes / BOLLACK EMMANUELLE
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BOLLACK EMMANUELLE

est née à Berlin, elle vit et travaille à Paris.

Quand je commence à peindre je ne sais jamais où je vais ni ce que je fais. Et je cherche à m’ appuyer....sur ce que je suis. Sur ce que j’ étais. Répétition d’une image antérieure? Retour à ce que j’ étais déjà? Variantes d’ une même image qui s’ est fixée et un jour s’ épuise à force d’être reprise . Je cherche à tâtons , comme aveugle, sans vision. C’ est un mouvement avant les mots. Inscription d’ une matière, d’ une forme. Tension entre une pensée désordonnée ,et ce qui arrive en peignant. Cela ne « s’organise » pas pour autant mais trouve un espace. « cela » arrive. Je rêve souvent que mes peintures se délitent, disparaissent. Qu’il n’ y a rien à montrer. Rien. Vide.disparition de tout. Lambeaux. Bouts de papiers qui volent au vent. C’ est une peur . Affirmer. Inscrire ce qui se défait. Essayer.contenir.Embrasser. Ouvrir, poser.Déposer. La présence et l’ absence, comme simultanées. C’ est cela, simultanément cela s’ impose et s’ absente. Je résiste à une coulée à pic aux fond des eaux. Cela a émergé, est devenu visible. N’ est-ce pas re-monté à la surface?

Emmanuelle Bollack, une vagabonde de l’intérieur

Emmanuelle Bollack m’accueille un matin d’hiver dans son atelier, quelque part au fond d’une impasse dans cet arrondissement de Paris qu’on nomme l’arrondissement des Buttes-Chaumont. Elle m’offre du café, un siège pour m’asseoir et une immédiate sympathie. C’est bien, parce que je crois que nous avons en commun cette capacité à l’immédiateté, seule modalité relationnelle possible quand on ne se connaît pas.

Je travaille comme choriste, chanter est mon métier et la scène est mon lieu de travail. Je travaille dans l’immédiateté ou en tout cas pour l’immédiateté : celle du public. Je sais que les peintres ont un rapport plus indirect au monde, diffracté, comme l’est un reflet dans l’eau.

Emmanuelle vit cette drôle de vie d’artiste, cloîtrée, mystérieuse, dont la peinture est la seule matérialité mais le temps aussi, épais, incompréhensible, insaisissable et pourtant recueilli et exprimé, ici, sur les toiles qu’Emmanuelle a peintes et que je découvre tout en devisant avec elle. D’une toile à l’autre, elle approfondit l’attrait d’un horizon entre une terre sombre et un ciel lavé. Une colline, un nuage, un reflet, adoucissent la limite entre ciel et terre. Nous sommes en dehors du tohu-bohu initial dont la lecture de la Bible nous dit qu’il est d’abord une confusion de zones de lumière et de zones d’obscurité. Le peintre, comme le dit Isaïe, « forme la lumière et crée l’obscurité ». On peut aussi en rêvant devant les toiles d’Emmanuelle Bollack avoir le sentiment qu’elle nous donne à voir des drapés de ciels. Devant ses paysages qui sont des rêveries sur le thème du paysage, nous nous adonnons au sentiment océanique, au sentiment qu’il n’est rien de séparé, à l’illusion d’une confusion de soi et du monde qui n’est peut-être qu’une manière de ressaisir à la racine le geste de voir et ce qu’il signifie: voir, c’est distinguer, séparer, sortir un tant soit peu de la confusion.

Emmanuelle est, comme ces artistes parisiens du dix-neuvième siècle que l’on appelait les Bohémiens, une vagabonde de l’intérieur. Baudelaire dit, dans Mon cœur mis à nu : « Glorifier le vagabondage et ce qu’on appelle le Bohémianisme, culte de la sensation multipliée, s’exprimant par la musique. » C’est la première fois que le terme de bohémianisme apparaît dans la littérature française et on ne peut pas dire qu’il ait vraiment pris, comme l’on dit d’une bouture. Et pourtant, la confusion originelle entre les artistes et les Tziganes, que l’on a crus à tort originaires de la Bohème, région de l'ex-Tchécoslovaquie, a étrangement perduré. On n’a pas trouvé mieux pour dire quoi ? Pas seulement les mœurs dissolues de ceux qui vivent en marge de la société, mais l’identité profonde de l’art et de l’errance. Aujourd’hui on sait que les Bohémiens ne viennent pas de l’ex-Tchécoslovaquie mais on nomme les Parisiens qui vivent dans un certain souci de l’art, ne serait-ce que de l’art de vivre, les bobos. Paris sera toujours la capitale de la Bohème, ce pays imaginaire auquel, même dans la moquerie, au fond, on ne veut pas renoncer.

J’ai peur pourtant que les artistes, assignés à se tenir en marge, ne trouvent plus à Paris leur refuge. Le quartier qu’on disait latin regorge aujourd’hui de boutiques de fringues made in China, le quartier des Buttes-Chaumont où se terraient les derniers Communards pris sous les canons tirés depuis Montmartre n’est plus, depuis longtemps, le quartier populaire qu’il fut. Alors, que deviennent les artistes ? On a erré, on erre, et on continuera d’errer, malgré tout, nous disent-ils. Emmanuelle se tient en embuscade, dans son atelier où je regarde des tableaux où apparaît souvent une sorte de butte qui me fait penser aux terrils que l’on voit dans les anciens bassins miniers. De grandes collines de résidus de schiste et de grès ont perduré, après la fermeture des mines de charbon, comme d'impressionnantes cathédrales ou de mystérieuses pyramides. S’il y a une colline, un promontoire, c’est qu’il y a un trou, un creusement, dis-je à Emmanuelle, intriguée. Quel trou ? De quel creux témoigne cette excroissance ? On ne répondra pas à la question, évidemment, mais par un curieux effet d’association libre, une histoire de la famille surgit, une arrière-grand-mère magnifique dont la photographie révèle la beauté exotique, un grand-père dont la rumeur dit qu’il était Chinois, et qui fut consul, me dit Emmanuelle, si bien que je l’identifie immédiatement à une créature de Marguerite Duras. Une mère qui a vécu en Chine, ça c’est certain, une grand-mère qui était “une beauté noire aux cheveux blancs” en Martinique, je mélange un peu, pour brouiller les pistes qui le sont déjà assurément. Quelle est son origine, à Emmanuelle ? La Chine ? La Martinique ? Mais il ne faudrait pas oublier un élément essentiel, un père philologue renommé qui aura creusé au plus profond le terreau de la langue grecque. Au fond, l’Antiquité grecque, chez Emmanuelle, est certainement plus orientale qu’occidentale. Dans sa peinture, le ciel ou la terre sont également puissants, une colline, un accident sur la ligne, ne rompra pas l’ordonnance des choses, l’équanimité des éléments fondamentaux. Si les tableaux se succèdent en reprenant certains motifs, c’est au nom d’un rituel secret qui ressasse, comme tous les rituels, comme toutes les prières, la simple gratitude devant la beauté du geste. Ce geste d’Emmanuelle Bollack est celui d’un rapprochement entre voir, sentir, peindre, prendre du visible quelque chose et le rendre, métamorphosé. Le ciel était gris, il reviendra bleu. La terre était bétonnée, elle reviendra, par la grâce de la peinture, nue. Par la main du peintre, la terre est rendue à elle-même.

Nous nous racontons un peu, comme on feuillette un album de famille. Il se trouve justement qu’Emmanuelle me montre ses carnets qui m’intriguent beaucoup. Ce ne sont pas simplement des outils de travail mais de véritables œuvres en soi. On a le sentiment qu’elle rend hommage au geste d’écrire, ici, précisément, mais qu’elle le dissout dans l’humidité, la jungle des huiles et des encres. L’écriture, cet instrument magnifique dont son père aura cherché à dévoiler les arcanes, révèle dans ses carnets sa nature spongieuse, sa tendance à l’excroissance, à l’encombrement. Il y a dans ces carnets une insolence qui me plaît.

Je ne suis pas inquiète, je sais que dans la peinture d’Emmanuelle il y a tout ça et je sais aussi qu’il n’y a rien de tout ça. Que les mots sont là pour mieux nous tromper, nous distraire, nous séduire et nous induire en erreur. J’aime, comme Emmanuelle, creuser des trous invisibles dans la matière du langage, et ériger, non pas des terrils mystérieux, mais de petits monticules de mots. On attend d’un écrivain qu’il écrive sur la peinture et que quelque chose se passe, comme si l’écrivain chaman avait la puissance de dire ce que le peintre refuse de dire, mais Emmanuelle et moi sommes comme des enfants qui jouons sur le sable, désireuses de ne pas déranger l’autre. Emmanuelle dit qu’elle ne veut plus peindre ces collines mystérieuses. Peut-être qu’elle n’y croit plus. Mais je ne pense pas, non, elle va simplement vivre sans et inventer autre chose.

Y. Pachet

  1. 2022-Peinture-a-lhuile-116x90cm.jpeg

  2. 2022-Peinture-a-lhuile-30x50cm.jpg

  3. 2022-Aquarelle-et-encre-sur-papier-46X37cm.jpeg

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  5. 2023-Aquarelle-sur-papier-29X28cm.jpg

  6. 2023-Aquarelle-sur-papier-25X245cm.jpeg

  7. 2023-Aquarelle-sur-papier-25X25cm.jpeg

  8. 2022-Peinture-a-lhuile-33x55cm.jpeg

  9. 2022-crayon-sur-papier-42x38cm.jpeg

  10. Citrons-2025-Aquarelle-brou-de-noixpapier-31x37cm.jpeg

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