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LOUBCHANSKY MARCELLE
MARCELLE LOUBCHANSKY ou "le dépouillement par l'espace" Un texte de Geneviève Bonnefoi
Être femme et être peintre à l'orée de la seconde moitié du siècle n'était pas chose facile. Et pourtant elles furent nombreuses, plus qu'en aucune autre époque, à se lancer dans cette aventure jusque-là plus particulièrement domaine réservé des hommes. La liberté nouvelle apportée par l'art abstrait au début du siècle qui avait sonné définitivement la mort des vielles barbes académiques, se développait plus encore et donnait à ces jeunes femmes des ailes. On ne saurait les citer toutes mais bien des noms viennent spontanément à l'esprit: Viera da Silva, Karskaya, Staritsky, Pagava, Dumitresco, Judit Reigl, Huguette Bertrand, sans oublier les américaines de Paris: Joan Mitchell, Shirley Jaffe, Claire Falkenstein et bien d'autres. Parmi toutes celles-ci, l'œuvre de Marcelle Loubchansky brille comme une planète à part d'une somptueuse luminosité. D'elle-même nous ne savons et ne saurons vraisemblablement que peu de choses tant sa discrétion était grande. Sans doute sa lointaine ascendance biélorusse et juive eût-elle quelque influence sur une nature à la fois tourmentée et fantasque, où le charme et la gaité côtoyaient souvent le tragique. La guerre aussi l'avait marquée. L'obligation de se cacher pour échapper aux persécutions nazies, la perte de son père mort en déportation puis sa participation avec un frère avec lequel elle était très attachée, à des missions de rapatriement sanitaire de personnes déportées lui avait permis d'approcher les horreurs de cette guerre et d'en garder profondément enfoui le souvenir et la peur. Ses études artistiques en furent, elles aussi, perturbées. Elle fréquente l'école des Beaux-Arts et Décoratifs, mais à partir de 1942 elle se réfugie dans le Midi et pratique la céramique sans trop de conviction, ne se mettant vraiment à la peinture que vers 1946, lorsqu'elle revient à Paris. Elle fréquente alors les milieux littéraires et artistiques proches du Surréalisme, elle rencontre Camille Bryen qui organise en octobre 1948 un "Groupe international de peintres non-figuratifs" parmi lesquels Russel, Selim, Schöffer, Bandeira, Boumeester et, pour la première fois sans doute, Marcelle Loubchansky. La même année elle expose à la Galerie Breteau avec un autre peintre, Manderlo, demeuré inconnu à ce jour. Lieu prédestiné puisqu'il devait accueillir par la suite les "nuagistes" auxquels elle fut un temps associée par Julien Alvard. Mais sa véritable première exposition personnelle eût lieu en 1951 à la Galerie de Beaune où Suzanne de Conninck exposa également dans ces premières années de l'après-guerre d'autres jeunes peintres pleins de promesses comme Benrath, Degottex et bien d'autres. La peinture de Marcelle était loin d'être alors ce qu'elle est devenue plus tard et qui nous enchante encore aujourd'hui. Assez empâtées avec une abondance de formes enchevêtrées et quelques graphismes errants, elle s'apparentait à ce que certains concevaient alors comme le langage obligé d'une " École de Paris" qui, heureusement, devait trouver très vite d'autres formes d'expression et se libérer du carcan "peinture-peinture" ainsi que l'on disait alors. C'est pourtant cette peinture qui avait attiré l'attention du critique américain James John Sweeney qui la fit figurer en 1944 au Solomon Guggenheim Museum de New-York, avec la fleur de la peinture de l'époque, dans l'exposition "Younger European Painters". Elle eût même les honneurs d'une photo dans "Harper's Bazaar" au sujet de cette même exposition. C'était le temps où la France et les États-Unis vivaient en bonne intelligence artistique et échangeaient leurs artistes. De même pour la Grande-Bretagne dont le British Council avait organisé une exposition intitulée "Young Painters École de Paris" qui alla jusqu'à Édimbourg. Dans le catalogue où chaque peintre pouvait exprimer sa conception de l'art, Marcelle ne cache pas son attirance pour le surréalisme et, plus surprenant pour nous aujourd'hui, les peintres très expressionnistes qu'elle aime à l'époque: " Le but de la peinture me semble être en tout premier lieu l'expression de soi-même. De plus je pense que le surréalisme est un des mouvements fondamentaux de notre temps. L'abstraction cependant est à mon avis un passage nécessaire, comme la synthèse du surréalisme et du classicisme, du contenu et de la forme. Mes peintres favoris sont: Soutine et Chagall, aussi le Kandinsky de la période "fauve". Récemment Séraphine m'a grandement influencée. Finalement étant peintre mon langage est la peinture. Mais je continue à lire André Breton." Pourtant comme nul n'est prophète en son pays, en 1957 lorsque parut le "Dictionnaire de la Peinture Abstraite" (Ed: Fernand Hazan) sous la direction de Michel Seuphor, sa peinture était qualifiée de " formes molles à viscosités coulantes d'un effet très morbide", que nul n'a sans doute jamais beaucoup vues car il semble que dès 1955 Loubchansky avait radicalement changé sa manière et s'était jetée avec toute la force de sa jeune maturité dans une recherche d'effusion colorée qui devait rester sa marque à jamais. Entre-temps elle avait rencontré Charles Estienne auquel elle sera liée d'amitié pendant plusieurs années et qui la fait participer à presque toutes les expositions qu'il organise alors: d'abord "Peintres de la Nouvelle École de Paris" en février 1962 (deuxième groupe, Galerie de Babylone, Paris), puis à librairie-galerie "La Hune": "Rose de l'Insulte", autour d'un livre illustré par J. Pons et enfin le premier "Salon Octobre" dont elle fit partie du comité d'organisation. Charles Estienne qui avait un temps défendu l'art abstrait pur et dur exposé par Denise René et par son confrère et ami Léon Degand, avait publié en 1950 "L'Art abstrait est-il un académisme", stigmatisant comme l'écrivait Degand " l'esthétique de la forme géométrique et de la couleur pure, de l'aplat vigoureux, du cercle, du carré, du triangle". Il s'était rapproché du surréalisme et prônait "le libre jaillissement des forces créatrices". Le Salon Octobre qui réunissait près d'une centaine de peintres n'appartenant pas à l'abstraction géométrique et se présentait comme un "Hommage à Marcel Duchamp", suscita la colère du critique de la revue "Art d'Aujourd'hui", Pierre Guégen, qui qualifia l'ensemble de "tachiste". L'expression dut plaire à Estienne qui publia en 1954 dans le journal Combat à l'occasion du Second Salon Octobre, une page entière sous le titre "Une révolution: le Tachisme" (on y distingue très bien dans une photo de ce Salon une peinture de Marcelle Loubchansky encore un peu figée). C'était oublier volontairement sans doute, "L'Informel", prôné par Michel Tapié qui présentait déjà depuis trois ou quatre ans ("Véhémences confrontées" Galerie Nina Dausset, Mars 1951) des artistes extrêmement libres, tels Bryen, Hartung, Mathieu, Riopelle, Serpan, Wolls et des américains comme Pollock, Russel, de Kooning. En 1953 l'activité de Charles Estienne est considérable et il organise plusieurs expositions auxquelles Marcelle participe, dont la première à la nouvelle galerie surréaliste: "A l'Etoile scellée", avec Degottex, Duvillier et Hantaï, scellant ainsi son accord avec André Breton quant à l'automatisme psychique qui ferait de ces peintres les héritiers du surréalisme et de son écriture automatique. Il esquissait déjà là, à partir du "paradoxal point commun de l'abstraction et du surréalisme", la théorie d'une rencontre inévitable entre les forces naturelles et l'énergie contenue dans le tout neuf jaillissement du "tachisme". Les mêmes artistes (sauf Hantaï) se retrouvent un mois plus tard à la Galerie Craven, dans un groupe où figurent également Arnal, Fahr el Nissa Zeid, Messagier et Ossorio, sous le titre "Nouvelles propositions du réel". Curieux mélange… que n'éclaire guère le texte, comme toujours assez fuligineux du présentateur. Puis c'est à Bruxelles une "Introduction à la Nouvelle École de Paris" où il reprend donc l'appellation employée l'année précédente à la Galerie Babylone, avant de terminer par un second Salon Octobre, chez Craven, où Loubchansky fait toujours partie du "comité actif" qui l'organise. Ce même été 1953 Charles Estienne invite quatre peintres de ses amis: Duvillier, Degottex, Loubchansky et Messagier à passer l'été en Bretagne –dont il était natif- afin "d'expérimenter l'influence des éléments naturels et cosmiques sur leur œuvre" (catalogue de l'exposition Charles Estienne, Fondation Nationale des Arts Graphiques et plastiques, rue Berryer, Paris, 1984). Marcelle Loubchansky se rendit-elle à cette invitation? Nul ne le sait mais toujours est-il que quelques œuvres d'elle – plus tardives il est vrai de deux ou trois ans – évoquent avec leurs verts, leurs bleus et leurs sillages de blancs écumeux les grands remous de l'océan et que les titres comme "Onde bleu vert" I,II et III peuvent laisser penser qu'elle fut, cette année-là où une suivante, l'hôte du critique du Tachisme. C'est pourtant sur le rouge que celui-ci met l'accent dans la brève préface qui présente son exposition à la Galerie Craven en 1954. Certes plusieurs toiles de cette période donnent une place importante à celui-ci, tantôt avec le globe impressionnant de "Et le soleil s'arrêta", tantôt avec de longues coulées qui font dire au préfacier que "le rouge a des ailes", que plus rien n'est classique dans la peinture de Marcelle Loubchansky: mise en page décentrée qui fait feu de tout bois, de la projection de couleurs comme des" coups de brosse" et que "le passage par la peinture pure a été pour elle le moment et le moyen unique où l'image s'est mise à vivre de sa vie propre, prouvant au-delà des mots l'éclatante et dangereuse fraîcheur d'un âge d'or que notre mémoire et notre vue ne savaient pas si proche". Au milieu de toutes ces activités – elle fait aussi une incursion à la Galerie l'Arcade qui présente cette fois sous l'égide de Michel Tapié, "Individualités d'Aujourd'hui" un groupe très dense et d'une grande qualité où l'on remarque Bryen, Buri, Capogrossi, Francis, Hartung, Kline, E. Martin, Mathieu, Poliakoff, Riopelle, Pollock, Serpan, Soulages, Tobey, Wols – l'œuvre de Marcelle Loubchansky semble donc se développer à un rythme régulier, s'alléger peu à peu de ses empâtements et s'orienter vers des réalisations moins statiques. Le dynamisme du Tachisme et de l'Abstraction Lyrique commence à secouer pas mal de jeunes peintres qui abandonnent la notion de composition chère à l'École de Paris pour se lancer dans des expériences plus directes qui privilégient la couleur, le geste, le mouvement, d'où l'éclosion vers 1955 de quelques superbes œuvres sur papier. Mais auparavant il y eût la rencontre, chez la "Princesse" Fahr el Nissa Zeid, d'un jeune directeur de librairie-galerie Jean Fournier, qui tentait de donner de plus en plus de place à la peinture dans les vastes locaux qui avaient été une librairie espagnole et devait devenir une galerie de pointe de notre temps: la Galerie Kléber. Dès 1955 Charles Estienne y présente les peintres de son groupe sous l'invocation de la charmante Alice Liddell: "Alice in wonderland" et la bénédiction d'André Breton dont il demeure très proche. Degotttex qui venait d'exposer à "L'Etoile Scellée", y tient une place de choix avec Hantaï, Duvilliers, Loubbchansky, Fahr et Nissa Zeid mais aussi des peintres surréalistes comme Toyen et Paalen ou plus "École de Paris" comme Gilet, Tsingos etc. Encore un de ces curieux mélanges dont Charles Estienne avait le secret et qui lui permettaient de naviguer à vue sous les flots houleux de la peinture de l'époque. Cette métamorphose marine nous amène tout naturellement à la dernière grande exposition qu'il organise l'année suivante à la Galerie Kléber: "L'Ile de l'Homme Errant" et qui marque la rupture d'un certain nombre de ces peintres avec le surréalisme et la "dislocation" du groupe Tachiste. Marcelle Loubchansky, qui avait peint à cette occasion un tragique "Melmoth" (aujourd'hui dans la collection de l'Abbaye de Beaulieu), restera pourtant fidèle encore longtemps à la pensée surréaliste. André Breton lui-même préfacera en 1956 son exposition personnelle à la Galerie Kléber (repris dans "Le Surréalisme et la Peinture" Gallimard 1965). Déjà la lumière a fait son entrée dans cette peinture et les grandes plages de couleur diluée qu'elle utilisera pendant de très longues années commencent à apparaître… même si elle utilise encore, selon une expression d'Estienne plus tardive" le travail à la brosse". Cette technique toute nouvelle à l'époque, qui consiste à faire couler la peinture, très diluée à l'essence, sur la toile et à faire bouger celle-ci pour obtenir des fonds très nuancés, des moirures, des zones d'ombre, donnant à sa peinture une fluidité unique, elle sut l'employer pendant près de vingt ans sans jamais créer la moindre impression de monotonie et en renouvelant sans cesse la manière de traiter des thèmes qui pourtant sont d'une grande simplicité: le ciel, les nuages, le vent, la mer, mais auxquels elle sut donner une marque toute à fait personnelle. On remarquera tout particulièrement la série des "sables", où sur des fonds bruns, beige, ocre et rosé se détachent des grappes de signes en relief dans un mouvement ascendant qui emporte le spectateur vers l'espace ("Sables grège", 1958 et quelques autres). Le bleu, le rouge sombre peuvent s'y mêler avec de beaux éclats d'une lumière qui semble émaner d'au-delà de la toile, les zones claires ménageant des échappées profondes. J'ai eu l'occasion d'évoquer déjà (in "Les Années fertiles 1940-1960". Mouvements Éditions, 1988) le petit groupe qui s'était formé autour de Jean Fournier à la Galerie Kléber, dans ces années 50 où les artistes se préoccupaient moins de leur réussite matérielle que de leur épanouissement spirituel et où de longues discussion les réunissaient: Degottex et René Beslon, sa compagne, tout entiers tournés vers l'Orient, Judith Reigl et Hantaï encore proches du surréalisme, mais déjà attirés vers une abstraction plus libre dont Pollock et Mathieu avaient ouvert la voie, Duvillier, Marcelle Loubchansky, Charles Estienne, plus proches de la nature mais tous préoccupés de problèmes intellectuels autant que picturaux. On commentait les livres et les dessins de Michaux sur la mescaline, les essais de Susuki sur le bouddhisme zen. Les peintures de ces jeunes artistes – en lesquels certains ne voyaient (et ne voient toujours) que tracés et taches dénuées de sens – étaient chargées de toute cette richesse intérieure qui en fait tout autre chose que de simples exercices plastiques. Il est sûr qu'ils étaient en quête de quelque chose d'indéfinissable et que leur inquiétude se reflète dans leurs œuvres. Pour Marcelle, aucun doute possible lorsqu'on regarde l'élan ascensionnel qui enlève littéralement à la terre ses peintures des années 1958-59. Ce dépouillement va s'accentuer dans les années soixante où toute trace de matière disparait et où elle fait retour à une sorte de frontalité qui, curieusement, au lieu de créer comme souvent un espace clos ouvre au contraire celui-ci dans toutes les directions de la rose des vents. On peut dire que Marcelle peint là quelques-uns de ses chefs-d'œuvre, qu'il s'agisse de ses peintures d'aube ("L'avant-aube", "Lumière de l'aube") ou des audacieuses évocations solaires dans lesquels les roses et les jaunes se mêlent avec la science innée de coloriste qui était la sienne ("Avec le Soleil"). Dans l'importante exposition que lui consacre le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 1963, on est frappé par l'insistance de ces thèmes qui reviennent avec des titres aux résonnances de poèmes: "Le Vent des couleurs", "Certains ciels", "Avec le Soleil", "Plage bleue", "Espace"… etc. On la sent totalement imprégnée de ce fameux "sentiment de la nature" que j'évoquais lors de la rétrospective de dix années (1955-1965) à la nouvelle Galerie Jean Fournier, rue du Bac et qui rejoignait celui qu'exprimait dans des formes différentes des artistes comme Benrath, Lerin, Laubiès ou Grazziani que Julien Alvard avait réunis au milieu des années cinquante, dans un petit groupe baptisé (lui aussi par dérision) "nuagiste", au sein duquel elle participa d'ailleurs à plusieurs expositions. Quelques séjours dans la maison que sa famille possédait à Hardelot, au bord de la Mer du Nord avec ses gris et ses bruns, avaient aussi suscité quelques-unes de ces belles toiles où réapparaissent de grandes taches aux accents houleux et où l'on sent la présence des sables et du vent. Julien Alvard qui prônait lui aussi une sorte de retour romantique à la nature, l'intègre à nouveau dans le groupe de huit peintres qu'il présente dans les merveilleuses Salines Royales de Ledoux à Arc et Senans en 1966 avec les artistes cités plus haut, auxquels il joint Nasser-Assar et Stubbings. Dans sa préface il oppose ce qu'il nomme "la civilisation des cimes" à la civilisation urbaine et le grand souffle des artistes qui prirent comme thèmes les vastes horizons de montagnes et de brume comme les peintres chinois, ou bien les éléments, tels Lorrain et Turner, fascinés par la mer, le ciel et les lumières changeantes, aux naturalistes qui suivirent. Mais pour Marcelle Loubchansky, assoiffée d'espace, tout cela n'était pas encore assez et c'est vers le cosmos qu'elle se tourne dans les années 70/72 inaugurant ce qu'elle nomme dans l'exposition du "Nuagisme" à Lyon: "Perspective stellaire". Des éclatements de novaes, des fulgurances de comètes, ailleurs la courbe d'un astre la terre - la Terre ?- vu à travers des milliers de tache… étoiles peut-être ? Parfois l'éblouissement absolu du soleil ("En Jaune", 1970 comme en 63). Ici et là encore quelques ciels, quelques nuages, mais ils appartiennent déjà au passé, tout proche pourtant. On reste confondu devant un tel envol, devant cet espace qui ne cesse de s'approfondir et où elle semble évoluer avec la même aisance que sur les longues plages désertes du Nord. Solitaire, Marcelle l'est sans doute et tous ceux qui l'on un peu mieux connue le disent. Rêvait-elle d'échapper à ce monde trop terrestre aux contingences implacables ? Pourtant, c'est de peinture surtout qu'elle nous parle et ce n'est un hasard si elle a donné à presque toutes les toiles exposées à Lyon des appellations qui ne sont que des couleurs: " Carmin et rouge", "Ocre, violet, vert", "Outremer et bleu nuit" (on remarquera la proximité des tons), "Indigo et noir", "Véronèse et indigo". Car la couleur, c'est aussi son univers, celui où elle est passée maître. Et le mot n'est pas trop fort. Car cette manière si subtile qu'elle avait inventée de manier à la fois la couleur la plus forte et la matière la plus ténue, dont elle gardait jalousement le secret mais qui fut par la suite bien souvent imitée – sans que l'on puisse jamais retrouver ce qui faisait l'essence même de son art – lui donne droit à ce titre qu'elle aurait sûrement rejeté bien qu'elle ait eu, comme me le confiait une de ces amies, parfaitement conscience de sa valeur. Cette amie, Maryse Haerdi, qu'elle connut dans les années 70 exposa ses œuvres à plusieurs reprises en Suisse et l'intégra parfois au petit groupe qu'elle forma avec Arnal, Benrath, Duvillier, Messagier etc. sous l'appellation de "Peinture Cinesthésique". Si l'on en croit la définition de Larousse, donnée dans l'in de ses catalogues, la peinture de Loubchansky n'avait qu'un très loin rapport avec "le fonctionnement végétatif de l'organisme" et les "sensations internes de nos organes". Mais elle pouvait poursuivre son trajet spatial à travers ces différentes manifestations, ce qui était sans doute l'essentiel, en cette période où les peintres de sa génération commençaient à être écartés de la scène artistique au profit de nouveaux venus qui pratiquaient un net retour à la figuration, à travers de nouvelles techniques proches de la photographie, ou s'adonnaient au délice du "nouveau réalisme" sous les formes les plus diverses. Plusieurs expositions importantes auxquelles elle participe dans les années 80, autour de Saint-Germain-des- Près et des hommages à Charles Estienne ou à Michel Ragon, ainsi que sa participation au FRAC de Bretagne et à diverses grandes collections, l'aidèrent à sortir un peu de l'isolement où elle s'enfonçait peu à peu de plus en plus profondément. Elle espérait toujours une exposition importante à Paris, une sorte de consécration officielle qu'on lui avait fait miroiter mais qui hélas ne vint pas. Et sa disparition brutale en Juin 1988 mit fin à une œuvre qui ne manquera d'être mise à sa vraie place dans la si riche génération de l'après-guerre. G. Bonnefoi Beaulieu-Avril-Mai- 1992